Le 13 novembre 2025, Artcurial a accueilli la conférence annuelle d’Arpamed, consacrée cette année à l’archéologie étrusque de la fin du IVᵉ siècle av. J.-C. Entre 2022 et 2024, Arpamed a accompagné le programme de recherches mené à Norchia, vaste nécropole rupestre située dans l’arrière-pays de l’ancienne Tarquinia. Ce soutien a permis d’étudier, entre autres, la tombe monumentale Lattanzi, et une tombe voisine où un vase étrusque intact a été retrouvé — une découverte rare, aux implications majeures pour l’histoire de l’art, l’archéologie funéraire et l’imaginaire héroïque étrusque. Nous avons eu le plaisir d’écouter Vincent Jolivet (CNRS / ENS–PSL) en présenter les résultats les plus récents, dans un dialogue passionnant entre recherche de terrain et restitution culturelle.

Une tombe monumentale dans le paysage de l’Étrurie
À Norchia, la nécropole se déploie en terrasses sculptées dans la paroi rocheuse. La tombe Lattanzi, datée autour de 320 av. J.-C., impressionne par son architecture que les chercheurs parviennent à reconstituer malgré les effondrements : une façade de près de 18 mètres, deux niveaux de colonnes superposées, un fronton orné et un toit à double pente évoquant les modèles macédoniens alors prisés par les élites étrusques.
C’est dans une niche passée inaperçue des pilleurs, à l’intérieur d’une tombe voisine, que le vase a été découvert. Les analyses chromatographiques ont révélé des résidus de vin blanc, confirmant sa fonction rituelle dans le cadre du banquet funéraire. Le vase porte en outre plusieurs inscriptions soignées mais parfois fautives, signe probable d’un artisan lettré mais peu alphabétisé.


Tombe Lattanzi : restitution de Gino Rosi, 1925 © Photo : Archives de fouilles, Etruria meridionale
Une parataxe héroïque : des exempla plutôt qu’une histoire
Le décor du vase n’est pas narratif au sens grec du terme. Il adopte une disposition paratactique : les héros ne racontent pas un épisode précis, mais forment une suite de figures exemplaires évoquant courage, loyauté et mort glorieuse — autant de valeurs destinées à accompagner symboliquement le défunt.
Sur la Face A, Ajax domine la composition. Son armure arbore un gorgoneion (tête de Méduse) et son bouclier est rehaussé de bleu, couleur rare et prestigieuse dans la céramique étrusque. Ici, Ajax n’est pas la figure sombre et tragique souvent représentée, mais un guerrier magnifié, personnage central du dispositif.

Stamnos in situ © Photo Renaud Bernadet/SABAP Etruria meridionale
À ses côtés, Achille apparaît dans une posture singulière : les jambes parfaitement statiques, le haut du corps saisi en mouvement. Cette tension interne crée une ambivalence volontaire comme si le peintre interrogeait une forme de contradiction ou de dualité du héros.
Un troisième personnage, probablement Nestor, porte un palmier stylisé, son emblème traditionnel. Vincent Jolivet rappelle avec humour que, dans l’Iliade, Nestor est déjà « trop vieux pour la guerre » — environ 45 ans selon nos critères modernes — et que cette représentation semble précisément jouer de cette ironie en soulignant le retrait nécessaire du vieil sage.

Nestor (?), Achille et Ajax © Photo Renaud Bernadet/SABAP Etruria meridionale
La Face B montre Troïlos, jeune fils de Priam, près d’une fontaine surmontée d’une tête de lion tirant la langue — indice du sanctuaire d’Apollon où, selon la tradition, Achille le tue. Une seconde figure, armée, pourrait représenter Penthésilée, mais l’art étrusque tardif tend à neutraliser les différences de genre : mêmes proportions, mêmes traits, même gestuelle, d’où une identification prudente.

Face B © Photo Renaud Bernadet/SABAP Etruria meridionale
Les asphodèles qui encadrent la Face A — plante associée aux morts dans la tradition méditerranéenne — rappellent que l’on ne voit pas une simple scène mythologique, mais une véritable mise en scène funéraire : un dialogue visuel entre les vivants et l’au-delà. Les héros grecs ne sont plus ici des figures étrangères ; ils deviennent les reflets idéalisés des familles aristocratiques étrusques. À travers le vase de la nécropole Lattanzi, l’Étrurie tardive se révèle dans toute son inventivité, entre héritage grec, traditions locales et affirmation d’une identité visuelle propre.
Arpamed remercie chaleureusement Stéphane Aubert et Lamia Içame pour leur accueil, ainsi que Vincent Jolivet pour une présentation aussi rigoureuse qu’inspirante.
Page du projet : https://www.arpamed.fr/projets/arpamed-a-soutenu/projets-2024/norchia-la-tombe-lattanzi/