Le lundi 11 mars 2024 a eu lieu au Musée de l’Homme une conférence-discussion autour du thème « Les femmes et l’archéologie, un double regard ». Partie intégrante du cycle « Archéologie dans la cité » conçu par Anne Lehoërff (archéologue, professeure des universités, membre du conseil national de l’archéologie) et qui a démarré en 2021, la rencontre a abordé la thématique sous deux angles : la place des femmes en archéologie, depuis ses débuts jusqu’à nos jours, en France, à l’étranger, dans les instances ou les programmes de recherche ; et la place de ce sujet dans les travaux de recherche en archéologie. Arpamed vous propose de revenir sur ces échanges passionnants.
Le dialogue entre Anne Lehoërff, Aurélie Clemente-Ruiz (directrice du musée de l’Homme) et Rose-Marie Mousseaux (directrice du musée d’archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye) a exploré la façon dont les progrès technologiques et les changements dans les démarches scientifiques permettent de réexaminer le rôle des femmes dans l’histoire humaine (partie 1 disponible ici). Il a aussi rendu un juste hommage au travail des femmes dans l’archéologie depuis ses débuts, jusqu’à aujourd’hui où elles sont nombreuses sur le terrain mais font toujours face à certaines difficultés. Nous vous présentons ici le dernier aspect.
Femmes et terrains, hier et aujourd’hui
La place des femmes comme actrices de l’archéologie, et particulièrement sur le terrain est un thème important dans la réflexion sur les liens entre la science et la société. Pour reprendre Anne Lehoërff, oui, les femmes existent, ont existé dans l’histoire de l’archéologie, mais on les a peu vues. Il faut réexaminer le rôle qu’ont joué les femmes dans les découvertes et progrès archéologiques et dans la science archéologique, trop souvent effacées derrière un grand nom masculin ou cachées dans l’exercice de postes « en coulisses ». Des démarches sont déjà entamées pour réécrire une histoire de l’archéologie à partir des traces laissées par ces femmes qui ont été sur le terrain.
Parmi les femmes pionnières, Marthe Péquart (1884-1963) a fouillé le site de Téviec évoqué dans la première partie de cette présentation dans les années 1920 avec son mari Saint-Just Péquart ; Jane Dieulafoy (1851-1916) a accompagné son mari en Perse pour une campagne de prospection. Elle avait appris le persan et a été l’indispensable traductrice de l’expédition. Elle avait une dérogation pour porter un costume d’homme et coupait ses cheveux à la garçonne – ce qui interroge sur la question de l’habillement féminin, toujours un sujet aujourd’hui, et des moyens à prendre pour pouvoir travailler tranquillement – et fut l’une des premières femmes à recevoir la légion d’honneur (voir un article d’Histoire & Civilisations).
Dorothy Garrod (1892-1968) et sa carrière montrent déjà des évolutions puisqu’elle a atteint un statut académique. Elle est l’une des premières professeures à l’université de Cambridge, où elle occupe la chaire d’archéologie de 1939 à 1952, un poste qui lui permet de continuer ses recherches comme paléontologue mais aussi de transmettre et de former de nouvelles générations, notamment féminines.
Ces pionnières nous ont laissé des traces de leurs conditions de vie sur les chantiers, certaines particulièrement féminines à l’image une boîte de bas utilisée comme contenant pour stocker des os d’animaux. Ayant appartenu à Dorothy Garrod, elle a été léguée au Musée d’Archéologie Nationale de Saint-Germain-en-Laye par Suzanne Cassou de Saint-Mathurin, autre figure féminine archéologue et qui reçut ces objets par les réseaux académiques. Un témoignage du quotidien de vie et de recherche touchant.
A côté de ces femmes qui fouillaient, il ne faut pas oublier toutes celles qui étaient impliquées dans les chantiers, que ce soient les épouses des archéologues en chef qui géraient souvent toute l’organisation et l’intendance (en lien avec les normes sociales de l’époque), ou celles qui effectuaient les relevés, dessins, photographies etc., partie intégrante d’une étude archéologique et de la production scientifique. Dans les expéditions de Léo Frobenius par exemple, la plupart des relevés ont été effectués par des femmes, (considérées plus comme des dessinatrices que comme des archéologues), mais c’est lui qui est resté dans l’histoire. Identifier ces femmes et leur travail pour leur redonner leur juste place est un travail de fourmi.
La plupart de ces femmes qui allaient sur le terrain, quelle que soit leur responsabilité, le faisait juste après leurs études, alors qu’elles étaient encore célibataires et sans enfant. Une fois mariée et avec une famille, cela devenait plus difficile et elles basculaient souvent dans les musées et les collections, sauf si éventuellement leurs époux étaient eux-mêmes archéologues et qu’elles pouvaient donc les accompagner. Ainsi Hilda Petrie, d’abord embauchée pour effectuer des relevés et dessins, se marie avec Flinders Petrie et continue à aller sur le terrain. On peut noter qu’elle touchait un peu à tout et avait une forte personnalité, ce qui l’a probablement aidé à asseoir sa position.
Le travail derrière le terrain (inventaire, nettoyage…) a souvent été réalisé par de nombreuses femmes qui ont participé à l’étude et à la documentation des objets trouvés en fouilles. Elles sont malheureusement mal identifiées malgré leur nombre et leur implication dès les débuts de l’archéologie. Ce type de poste pose la question de répartition fonctionnelles dans les différents métiers de l’archéologie. Ces tâches de collection ou de nettoyage par exemple étaient-elles vues comme convenant à des femmes, « organisées, consciencieuses », et plus convenables que de partir sur des terrains parfois lointains ? Le travail archéologique hors du terrain est de toute façon capital pour l’avancée de la science et c’est là où ces femmes ont fait beaucoup progresser la recherche.
L’archéologie évolue dans le temps, et la place des acteurs sur le terrain aussi. Le terrain a longtemps été placé au cœur de l’archéologie, et une « vraie » carrière d’archéologue était nécessairement conditionnée par une expérience de terrain et par la découverte de trésors. Pourtant, cet adage « l’archéologie, c’est le terrain », mérite d’être bousculé aujourd’hui. L’archéologie est un ensemble de métiers, du terrain à la direction des musées, tous nécessaires à la science. Ce qui n’empêche que, sur le terrain, il est important que les femmes y aient une place légitime et sécurisée.
Plus d’un siècle après le costume d’homme de Jane Dieulafoy, elles continuent à y être confronté au sexisme, tantôt de la part de collègues, tantôt du public fréquentant la zone étudiée. Pendant l’été 2023 lors des fouilles au centre de la ville de Saint-Denis, la ville a été contrainte de mettre en place des affiches pour demander aux passants un bon comportement envers les femmes travaillant sur place. Si ce cas a été particulièrement médiatisé, il n’est malheureusement pas isolé. Les panneaux rappellent d’ailleurs que depuis août 2018, l’outrage sexiste est une infraction pénale.
Toujours en ce qui concerne le sexisme sur le terrain, les langues se sont aussi déliées. Les prises de paroles et la formation de collectifs comme le projet Paye ta truelle ou l’association Archéo-éthique ont permis des avancées et l’apparition de la notion de « chantiers éthiques » avec des règles de fonctionnement, des préconisations et des conseils pour rendre un chantier confortable pour toutes et tous. L’exposition itinérante « Archéo-Sexisme », coorganisée par Archéo-Éthique et Paye ta Truelle, vise ainsi à promouvoir la culture scientifique et à encourager la mixité et l’égalité à travers une meilleure éthique dans le monde de la recherche
Auprès du grand public, les stéréotypes autour de l’archéologue, qu’il soit homme ou femme, sont tenaces. Indiana Jones est la figure d’un archéologue, aventurier avant tout et armé pour faire face aux dangers qu’il rencontre. Lara Croft, sa version féminine, a sans doute les mêmes qualités mais est beaucoup plus dénudée. Un imaginaire sexiste donc, qui colle toujours aux femmes archéologues. Cette image fantasmée est pourtant loin de la réalité du terrain où elles sont souvent couvertes pour se protéger du soleil, du vent, de la pluie, de la poussière, de la boue… Ces décalages entre les fantasmes autour de l’archéologie et le concret du quotidien sont illustrés avec humour par Céline Piret dans ses Arkéofacts.
Quels sont les chiffres aujourd’hui de la présence féminine sur le terrain ? Une étude autour des principaux acteurs de l’archéologie préventive sur le territoire français a montré qu’actuellement les hommes sont majoritaires, particulièrement dans les directions. Les générations entrantes ont une forte présence féminine et on peut donc penser que la situation est amenée à évoluer, en prenant néanmoins en compte que les postes d’entrée sans beaucoup d’évolution (temps partiels, contrats courts…) sont, comme souvent, occupés majoritairement par des femmes. Les chiffres des étudiants en archéologie amènent à un autre constat : une majorité féminine à l’entrée mais un taux de déperdition important entre les études et l’arrivée à des postes… Cette différence mériterait d’être étudiée mais il semble qu’il faut donc continuer à œuvrer pour que l’archéologie soit un domaine professionnel accueillant pour les femmes.
Malgré cela, les femmes archéologues sont bien plus présentes aujourd’hui qu’il y a un siècle, sur le terrain et dans tous les métiers de l’archéologie. Chez Arpamed, de nombreux projets depuis nos débuts ont été menés par des femmes. En 2024, la majorité des projets déposés et retenus (par les conseils scientifique et d’administration qui montrent une parité réjouissante) ont une femme à leur tête ou dans l’équipe dirigeante, auxquelles s’ajoutent bien sûr toutes celles qui font partie des équipes intervenant dans les missions. La variété des projets concernés représente de nombreuses facettes de l’archéologie et montre la présence de femmes dorénavant à tous les postes et leur excellence à ceux-ci.
En conclusion, cette rencontre a aussi été l’occasion d’insister sur le fait que l’histoire de l’humanité et sa compréhension concerne tout le monde, pas que les hommes ou que les femmes. Réajuster notre compréhension des sociétés qui nous précédées au fur et à mesure des nouvelles découvertes, des avancées techniques et des progrès dans les démarches scientifiques est le signe d’une science en mouvement. Ce dynamisme est nécessaire au respect de l’ensemble des personnes et des sociétés qui nous ont précédées, notamment des femmes de la Préhistoire aux premières archéologues, et à l’intégrité de la recherche. Pour que les archéologues d’aujourd’hui et de demain puissent œuvrer au mieux, continuons à améliorer et diversifier les pratiques.
Ombline de Perthuis
Pour aller plus loin :
Projet « Les femmes dans l’archéologie de la Grèce », coordonné par Maguelone Bastide et Sylviane Déderix (co-responsable du projet Thorikos soutenu par Arpamed), sous l’égide de l’Ecole française d’Athènes : https://www.efa.gr/les-femmes-dans-larcheologie-de-la-grece/
La première journée d’étude: https://www.efa.gr/events/08-03-2023-workshop-unsung-pioneer-women-in-the-archaeology-of-greece/
La seconde journée d’étude: https://www.efa.gr/events/women-and-archaeological-institutions/
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