Les femmes et l’archéologie, un double regard (1/2)

Le dialogue entre Anne Lehoërff, Aurélie Clemente-Ruiz (directrice du musée de l’Homme) et Rose-Marie Mousseaux (directrice du musée d’archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye) a  exploré la façon dont les progrès technologiques et les changements dans les démarches scientifiques permettent de réexaminer le rôle des femmes dans l’histoire humaine. Il a aussi rendu un juste hommage au travail des femmes dans l’archéologie depuis ses débuts, jusqu’à aujourd’hui où elles sont nombreuses sur le terrain mais font toujours face à certaines difficultés. Nous vous présentons ici le premier aspect.

Les femmes dans l’histoire humaine : représentations, relecture et réinterprétation.

L’étude des restes humains est une part importante de l’archéologie. Or l’interprétation du sexe d’un individu dont les ossements ont été retrouvés est parfois complexe et des études successives amènent parfois à… des changements de sexe. De telles mutations sont l’occasion de débats scientifiques autour des méthodes utilisées pour réétudier ces ossements mais aussi autour de ce que ces re-déterminations impliquent quant à la compréhension d’un site (quelle population l’occupait, quelle était son organisation, l’état de santé des différents individus…). Au-delà, c’est toute notre interprétation des sociétés passées qui est bousculée, et particulièrement la place des femmes dans celles-ci. Il est en effet plus souvent arrivé qu’un individu d’abord identifié comme masculin soit ultérieurement déterminé comme féminin que l’inverse. Nouvelles interprétations et découvertes récentes ont rendu moins rares les sépultures de femmes, et particulièrement de femmes puissantes. Elles indiquent notamment qu’elles occupaient des statuts plus importants que ce qu’on a longtemps présumé.

Historic England Archive. PLB K000684.

Un exemple fameux est celui d’un squelette très détérioré, découvert en 1999 sur l’île de Bryher (Angleterre), accompagné d’un matériel datant d’environ 2000 ans, traditionnellement interprété comme à la fois « masculin » (une épée) et « féminin » (un miroir). Il était ainsi impossible de déterminer le sexe du défunt en se fondant sur l’interprétation des objets selon des biais sociétaux qui étaient encore en vigueur : s’il y a des armes dans une tombe, on a affaire à un guerrier ; s’il y a des instruments de soin de la personne, on a affaire à une femme. Aujourd’hui, les progrès techniques permettent de déterminer certains éléments de manière parfaitement objective, dont le sexe d’un individu. En 2023, l’analyse de protéines a permis d’identifier les restes humains de Bryher comme ceux d’une femme. En permettant d’analyser avec plus de justesse les restes humains, les progrès de la science permettent aussi de modifier notre vision des sociétés anciennes, et notamment celle de la place des femmes : la défunte de Bryher peut fort bien avoir été une guerrière !

Deuxième exemple fameux sur le site mésolithique de Téviec (Bretagne), où les deux individus ont été retrouvés en 1930 dans une même sépulture. Ils ont d’abord été considérés comme un homme et une femme dans les années 1930, puis comme deux femmes dans les années 2010 avant de nouvelles analyses bioarchéologiques en 2016 qui ont révélé qu’il s’agissait d’une femme et d’un adolescent. Ces changements bousculent l’interprétation de ce site et les conclusions des chercheurs.

Sépulture de Téviec, moulage de la sépulture A au musée de Toulouse
© Didier Descouens, Wikimédia

La question de la place des femmes dans toute l’organisation sociale, et particulièrement parmi les groupes dominants, fait partie des réflexions soulevées par ce type de découvertes. Le Musée national Préhistoire expose par exemple la sépulture d’une femme recouverte d’ocre et entourée de produits luxueux, des signes qui indiquent son important statut dans sa communauté. Ce genre de cas, comme celui de la « guerrière » de Bryher, ouvrent un panel de rôles et de statuts plus larges que ceux que l’on a pu attribuer aux femmes du passé. On peut noter d’ailleurs que la présentation proposée au musée (position du squelette…) a  été revue en lien avec les nouvelles conclusions de la recherche sur l’ensemble de la sépulture , montrant que les progrès se font sur tous les aspects ! Avec les évolutions de l’archéologie, science en mouvement, on pourrait à terme reconstituer les organisations sociales lointaines avec le moins de fantasmes possibles.

Les restitutions d’une époque lointaine changent avec ces évolutions. L’imaginaire d’une époque, lié à ses propres particularités sociales, joue sur l’image qu’elle se fait d’une société lointaine. La diffusion des conclusions des chercheurs peut le nourrir ou l’amener à changer. On a ainsi vu les représentations imagées des « hommes et femmes des cavernes » évoluer, même si certains clichés ont la peau dure. Récemment le documentaire Lady Sapiens a présenté une des interprétations les plus contemporaines d’une femme préhistorique, vue comme forte, indépendante, sauvage. Elle a été largement diffusée entre le documentaire, un jeu vidéo, des manuels scolaires…

Une image loin d’une beauté à la chevelure flamboyante, athlétique, en bikini en peau de bête, inspirée par les fantasmes de la femme fatale des années 60-70. Bien loin aussi des tableaux du XIXe siècle, imprégnés de l’esthétique du l’époque comme chez Cormon, peintre passionné par la Préhistoire. Dans le Retour d’une chasse à l’ours (1884), conservé au Musée d’archéologie nationale, l’univers préhistorique féminin est marqué par des femmes dénudées, blanches de peau et rousses, entourées d’enfants et de vieillards, attendant le retour des chasseurs vigoureux. Trois périodes, trois visions de la femme mettant en avant la question du fantasme de l’organisation sociale et de sa dépendance à l’époque auquel il appartient.

Affiche du film Un Million d’années avant J.-C.

Les images récentes s’appuient sur une logique de reconstitution avec les outils scientifiques actuels et les progrès qu’ils permettent. La compréhension des pigments de la peau et des yeux indique par exemple des peaux plus foncées que ce dont le public, européen notamment, peut avoir l’habitude. Les questions de présentation au public de ces découvertes et de ces images ajoutent un nouvel aspect social à des questions qui le sont déjà éminemment. Alors que les travaux scientifiques sont toujours en cours, et dans une société en proie à ses propres débats, que présenter au public et avec quel discours ? Comment inciter le public à une critique raisonnée des images ? Surtout si celles-ci sont le produit d’hypothèses scientifiques ?

De ces exemples parmi tant d’autres, on peut retenir que l’archéologie n’est pas fixe, qu’elle évolue dans le temps. L’archéologie est une science jeune qui évolue avec la société et de ses préoccupations. Outre les avancées techniques, des changements de mentalité amènent à revoir notre compréhension de l’histoire humaine et notamment de réestimer de la place sociale des femmes dans les sociétés passées.

Les projets soutenus par Arpamed contribuent à ce renouveau du regard sur la place des femmes dans les sociétés anciennes. Pendant trois ans, nous avons soutenu « les dames du mont Anavlochos » en Crète. Dans l’un des dépôts votifs situés sur la crête du massif, le Dépôt 1, un remarquable lot de 600 fragments de terres-cuites à figures féminines datées entre le Xe siècle et Ve siècle avant notre ère a été exhumé. Arpamed a aidé à financer leur restauration. L’étude approfondie de ces figurines a permis d’inscrire l’Anavlochos au sein d’un réseau régional de production, de circulation et d’utilisation de ces terres-cuites votives. L’étude a continué pour chercher à examiner six siècles de dévotion féminine à partir des découvertes sur le site, de l’échelle du dépôt lui-même, au site, à la région (Crète) et enfin à la Méditerranée. Plus largement, le projet cherche à reconstituer le rôle des femmes dans les pratiques rituelles communautaires durant une période cruciale et formative de transition entre l’Age de Bronze tardif et le début de l’âge du Fer.

Plaque dédalique au polos © EFA/Mission Anavlochos/ph. Ch. Papanikolopoulos, dessin C. Lemoine

Le coffre-fort de Rirha, objet de prestige, dont nous finançons la restauration en 2024, est décoré de médaillon représentant des figures féminines interprétées comme des bacchantes, les personnages féminins qui participaient au culte de Bacchus. Une meilleure analyse du décor permettrait d’explorer des hypothèses sur l’identité du propriétaire et la signification de ce décor particulier.

Les femmes au statut social important ne sont pas en reste, à l’exemple de la reine ptolémaïque Bérénice II dont un portrait saisissant est représenté sur la mosaïque dite de Sophilos. Retrouvée lors de fouilles à Thmouis (Delta du Nil), elle est désormais en restauration au Centre d’études alexandrines par des équipes françaises et égyptiennes avec notre soutien.

Enfin toutes les missions d’études de nécropoles (Norchia, Assassif, Kom Abou Billou, Cumes, Porta Nocera…) et d’espaces de vie quotidienne (Eynan Mallaha, Maison du Fourni, Amathonte, Thasos, Potier à Pompéi, Malia 2024, Albalat…) s’intéressent bien à la vie et la mort de la population qui nous les a laissés dans son ensemble. Ainsi, derrière les outils et les objets, on retrouve la trace des hommes et des femmes qui les ont conçus, fabriqués, utilisés et abandonnés dans l’espace bâti (Malia 2020).

Retrouvez la partie 2 de l’article prochainement.

Ombline de Perthuis