Des humanités numériques pour les tombes peintes étrusques !

A l’occasion du Festival de l’Histoire de l’Art 2021 de Fontainebleau, le projet Fac similés propose d’exposer ex situ la peinture étrusque, grâce à un travail de reconstitution de l’aquarelle moderne (XVIIIe – XXe siècles) à la modélisation 4D.

Modélisation 3D de la tombe de l’Ogre de Tarquinia, © Programme Facsimile – EFR, CeTHiS, U-Tours, Archeo3D.

Le corpus de la peinture murale des Étrusques, fleuron de cette civilisation qui offrit à l’Italie les premières pages de son histoire, rencontre aujourd’hui deux écueils pour la recherche. Ces deux cent fresques décorent les murs de chambres funéraires souterraines et ne peuvent être vues que dans le site archéologique de découverte. En outre, exécutées dans une technique fragile, elles offrent un état de conservation fragmentaire qui impose de limiter leur accès.

Dès le XVIIIe siècle, elles furent dessinées par les voyageurs qui voulaient en conserver la mémoire, préservant ainsi de nombreux détails que le temps effaçait.

Vue de la tombe du Cardinal de Tarquinia avec trois voyageurs en train d’exécuter des dessins : gravure de Franciszek Smugliewicz (1766), publié dans J. Byres, Hypogaei, or Sepulchral caverns of Tarquinia, Londres, [circa 1842].

L’ensemble de ces dessins, dispersés dans des fonds d’archives internationaux (Italie, France, Danemark, Grande-Bretagne, USA) et jusqu’ici encore mal répertoriés, constitue ce qu’on appelle la documentation graphique moderne sur la peinture étrusque. Le programme de recherche Facsimile. Documentation graphique et musées de peinture étrusque porté par l’École française de Rome, l’Université de Tours et la Surintendance archéologique de la Toscane, vise à associer ces deux périodes chronologiques et ces deux corpus – celui des tombes peintes antiques, celui des dessins modernes, en particulier grâce aux humanités numériques.

Nécropole des tombes peintes de Tarquinia, patrimoine mondial de l’UNESCO : tombe dell’Orco et tombe des Biges, étudiées du projet. © Alban-Brice Pimpaud.

ARPAMED, avec la collaboration d’autres institutions comme le réseau national des Maison des Sciences de l’Homme, l’École française de Rome, l’Université de Tours, s’est intéressé au développement d’un outil numérique innovant permettant de visualiser en 4D les tombes peintes et de feuilleter le palimpseste des différentes copies (de 10 à 30 par paroi) exécutées depuis le moment de la découverte.

Le terme 4D désigne la chronologie des différentes campagnes de dessins qui se sont échelonnées dans l’espace des tombes pendant plusieurs siècles.

L’aspect innovant de l’outil numérique, élaboré par Archeo 3D, repose sur la confrontation, au sein même du modèle 3D, des différentes copies conservées des fresques afin de retrouver le texte iconographique d’origine, avant qu’il ne se soit détérioré. Le choix s’est porté sur deux tombes de la nécropole de Tarquinia, inscrite au patrimoine de l’UNESCO. Elles offrent des cas d’étude très différents.

Palimpseste des copies exécutées des fresques de la tombe de l’Ogre de Tarquinia, insérées dans le modèle 3D. © Alban-Brice Pimpaud.

La tombe des Biges remonte à l’époque archaïque (580-470 avant J.-C.).

Son architecture est simple (un cube de 5m de côté environ) et elle est décorée de représentations de la consommation du vin (le symposion), de danses (le comos) et de jeux athlétiques, scéniques et équestres. Elle a été découverte en 1827 et, reconnue comme un chef-d’œuvre, a fait l’objet de plus de trois cents dessins entre 1827 et 1989. Le décor peint s’est très vite dégradé et il est depuis 1949 déposé au musée archéologique de Tarquinia.

Modèle 3D de la tombe des Biges, associant la lasergrammétrie et la photogrammétrie. © Alban-Brice Pimpaud.

La seconde tombe, de l’Ogre, appartient à l’époque classique (470-340 avant J.-C.). Son plan présente deux chambres cubiques, réunies par un couloir.

Elle reprend le thème de la consommation du vin, mais en l’implantant dans le monde des morts, sous le regard des démons des enfers. S’y ajoutent des héros de la mythologie grecque : Ulysse aveuglant le Cyclope, qui a donné son nom à la tombe, mais aussi Tirésias, Agamemnon, Ajax, Thésée ou Sisyphe, en présence des souverains des Enfers : Hadès et Perséphone. Ce monument exceptionnel a fait l’objet de 120 dessins entre 1869 et 1992. Les deux interfaces 4D permettent de comparer différents états du décor peint à travers ces reproductions graphiques modernes et de retrouver des détails des fresques aujourd’hui disparus.

Le cyclope ou « Ogre » aveuglé par Ulysse dans le couloir de la tombe de l’Ogre : modèle 3D par Alban-Brice Pimpaud , avec une lithographie de Louis Schulz (1869)

Par des effets de transparence entre les divers documents graphiques superposés, il est possible d’apprécier la manière dont travaillaient les artistes du XIXe et du XXe siècles, dans ces tombes mal éclairées.

Ainsi l’on pourra décalquer les fresques, puis les reporter en atelier sur la toile, par la technique du poncif, et finalement pour élaborer des tableaux destinés à être suspendus dans des musées ou galeries de peinture étrusque. Remettre ces tableaux dans l’espace de la tombe, par le biais de l’interface numérique, permet de retrouver leur signification et leur articulation avec toutes les autres scènes de la tombe.

Hadès et Perséphone face au géant à trois têtes, Géryon. Tombe de l’Ogre de Tarquinia: modélisation 3D de Alban-Brice Pimpaud – Aquarelles de d’Augusto Guido Gatti (1916) – Calque Archives Weber-Lehmann (1993)

Pour en savoir plus :

Voir la page du projet : Fac-similés de tombes étrusques | Arpamed par Natacha Lubtchansky, Université de Tours – CeTHiS

Film de présentation du projet : Couleurs étrusques – regards croisés sur les tombes peintes de Tarquinia, par Jean-Philippe Corbellini, 01/07/2020, diffusé sur Canal-U et YouTube (chaîne ARPAMED)

http://icar.huma-num.fr/4D/Carnet Hypotheses Fac-simile: https://facsimile.hypotheses.org

https://efrome.hypotheses.org/1317

L. Cuniglio, N. Lubtchansky, S. Sarti (éd.), Fac-simile 1. Les collections de dessins modernes reproduisant la peinture étrusque. Organisation des fonds, contextes de production et d’utilisation. Actes des journées d’études organisées à l’École française de Rome, 11-12 décembre 2017, dans MEFRA, 2019/2 – OpenEdition