L’édifice de Marmarokopio : un phare pour Délos.

Délos vue depuis le phare de Marmarokopio © Stéphanie Maillot.

Ce phare monumental est situé sur l’île qui fait face à Délos vers l’ouest, Rhénée, dont la partie méridionale a été intégrée au territoire de Délos. Délos exploite les riches terres agricoles de Rhénée et a transféré sa nécropole sur la côte sud-est de cette île dès la deuxième moitié du VIe s. av. J.‑C.

L’édifice est situé sur un promontoire à environ 43 mètres d’altitude, sur une colline appelée Marmarokopio, « l’endroit où on découpe le marbre », un nom qui vient de la carrière antique située sur sa pente nord et peut-être aussi des restes de débitage de blocs antiques dans cette zone. Le monument se situe à la pointe extrême d’une bande rocheuse, d’environ un km de large sur 3 km de long, sur laquelle s’est développée la nécropole. C’est le point d’observation maritime le plus favorable de Rhénée, et même de Délos, qui offre une vue sur toutes les Cyclades environnantes.

© Lionel Fadin – EfA.

L’amoncellement de blocs de marbre, dont beaucoup avoisinent une tonne, est rare à Délos et à Rhénée et évoque un monument public, ou du moins une construction hors norme. Les vestiges de Marmarokopio connus depuis longtemps ont dans un premier temps été interprétés comme ceux d’un temple. F. Piacenza publie en 1637 une carte de Délos et Rhénée et mentionne à cet endroit un « temple de Diane ». En effet, selon l’Hymne homérique à Apollon, Rhénée aurait été l’île de naissance d’Artémis : ainsi il y aurait eu partage des deux îles entre elle et son jumeau Apollon, dieu de Délos. De fait, le très riche corpus épigraphique de Délos, notamment les comptes et inventaires de gestion du sanctuaire d’Apollon, mentionne trois temples d’Artémis à Délos et Rhénée.

L’interprétation de l’édifice comme un temple a été contestée par R. Charre, M.-Th. Le Dinahet et V. Yannouli en 1993, qui ont présenté l’hypothèse d’un phare. Les arguments sont les suivants : l’intérêt topographique du lieu et « l’existence d’un monument circulaire », que les auteurs estiment d’époque hellénistique d’après les crampons sur les blocs. Ils relèvent également une fondation en granit d’un bâtiment carré (7,40 sur 7,40 m), qu’ils considèrent comme un autre édifice, sans rapport avec les vestiges du phare supposé.

Nettoyage de la zone, juillet 2024 © Stéphanie Maillot.

La mission de juillet 2024 a permis le nettoyage de la zone, le relevé de la fondation carrée, l’inventaire et le relevé de 378 blocs architecturaux (mesures, croquis, photographies de l’ensemble et photogrammétrie d’une centaine de blocs).

On ne relève aucun tambour de colonne, ni bloc d’entablement, ce qui permet d’écarter l’hypothèse d’un temple. Par ailleurs, nous avons pu identifier trois types de blocs en marbre : rectangulaires, circulaires et polygonaux. On peut donc déjà affirmer qu’il n’y a qu’un seul édifice, qui se rapporte à la fondation carrée, et qu’il est composé de trois étages, un premier étage carré, un étage circulaire et un étage polygonal.

La fondation carrée du phare de Marmarokopio, orthophotographie D. Bartzis-V. Eugenikou

Le premier niveau, carré, constitue peut-être une sorte de podium en escalier : quatre blocs rectangulaires sont encore en place. Le deuxième niveau est circulaire ; il est orné à sa base et à son sommet d’une assise moulurée de marbre bleu, qui contraste avec le corps en marbre blanc. Le troisième étage, polygonal, est plus exactement triangulaire. La forme de ce dernier étage peut évoquer une base pour un trépied, qui pourrait consister en un système de feu. L’ensemble a certainement dépassé les 10 mètres de haut.

On a également relevé de très nombreux blocs de poros (grès local) dans toute la zone d’effondrement : la présence de ce type de matériau est particulièrement intéressante ; ils doivent être replacés à l’intérieur de la tour. Reste à déterminer la composition intérieure de l’édifice et son fonctionnement concret : tour creuse avec espace interne de stockage et dispositif menant à un foyer sommital, ou tour pleine avec aménagements extérieurs et annexes ? L’analyse doit prendre en compte l’existence d’une porte, dont restent quelques blocs à l’est du monument. La suite de l’étude s’attachera à comprendre le dispositif selon lequel elle pourrait être intégrée au deuxième niveau, circulaire, et à déterminer si cette porte est fonctionnelle.

Les différents types de blocs sur le site : rectangulaires et circulaires avec scellements provenant des deux premiers étages ; à gauche, bloc de poros provenant du remplissage intérieur du monument. © Stéphanie Maillot.

Le monument de Marmarokopio relève donc du type des tours à degrés et superposition de niveaux, attestés comme phares en de nombreux endroits de la Méditerranée (Césarée de Maurétanie, Portus, Cadix, Patara) et sur de nombreuses représentations (comme celle des stationes de la place des corporations à Ostie), devenues populaires à la suite du célèbre phare d’Alexandrie. Au vu des rapports étroits entre Délos et Alexandrie à l’époque hellénistique, cette référence paraît tout à fait envisageable. Au-delà de sa fonction maritime, la richesse du monument serait le symbole de la réussite commerciale de Délos. Cependant, la tour de Délos ne reproduit pas le « modèle » du phare d’Alexandrie. Dans l’état actuel de nos connaissances, la configuration de la tour de Délos est unique dans l’Antiquité. La suite de son étude permettra d’affermir les premières hypothèses de restitution et de préciser le fonctionnement du monument. Nous n’avons pas identifié de fragments de sole de foyer pour un éclairage de nuit. Cependant il existe de nombreux systèmes de feu et de signalisation qui n’impliquent pas de foyer important, mais font appel à une ingénierie complexe, notamment avec des miroirs, qui peuvent ne pas laisser de traces archéologiques. 

Photogrammétrie d’un bloc polygonal © Stéphanie Maillot.

On ne peut pas non plus exclure que l’édifice soit un tombeau-phare, fonctionnel ou non, comme le tombeau monumental de Taposiris Magna, réplique du phare d’Alexandrie, ou le mnèma d’Akeratos à Thasos.

Il est en tout cas certain que le monument a la fonction d’un amer et il est très probable qu’il s’agisse d’un phare. Plusieurs arguments permettent d’appuyer cette hypothèse :

  • la situation géographique et la vue panoramique sur toutes les Cyclades alentour.
  • L’aménagement de la colline de Marmarokopio : l’existence d’un bâtiment contigu en appareil de gneiss, que nous avons relevé lors de cette campagne, qui évoque une pièce ou un édifice fonctionnel en rapport avec le monument de marbre.
  • L’existence de plusieurs voies d’accès (à étudier lors de la prochaine campagne en 2025) témoignent de l’importance particulière du monument.
  • La présence d’un édifice juste en face de la colline de Marmarokopio, à la pointe extrême sud de Délos sur la presqu’île de Kherroniso, interprété comme un phare par Ph. Bruneau. Cet édifice, qui sera relevé en 2025, est particulièrement intéressant dans la perspective de l’identification du monument de Marmarokopio : les dimensions et la forme de la fondation sont assez semblables à celles du monument de Rhénée, mais il s’agit d’une construction en appareil délien courant et aucun bloc de marbre n’est identifiable. La raison en est sans doute que cet édifice fonctionnel n’est pas visible de Délos, alors que celui de Rhénée peut être vu de l’ensemble de la ville et d’autres îles voisines.
Presqu’île de Kherroniso, où se situe un autre phare à l’entré sud du chenal de Délos, vue depuis le phare de Marmarokopio © Stéphanie Maillot.

L’étude du monument de Marmarokopio ouvre donc des perspectives tout à fait nouvelles dans les recherches sur les tours monumentales dans le monde méditerranéen antique et elle constitue une étape importante dans la connaissance du paysage portuaire de Délos. Elle donne en effet une idée précise de la mise en scène du chenal entre les deux littoraux urbains qui se font face et de la richesse de ses aménagements. Ce phare constitue enfin un cas remarquable pour l’étude de la signalisation des côtes et des ports dans la Méditerranée antique.

Par Stéphanie Maillot, porteuse du projet.

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