A la recherche de Thapsus, ville portuaire antique de Méditerranée

Les vestiges de la ville antique de Thapsus sont situés sur la façade orientale du Sahel tunisien. L’attrait touristique de la zone et son développement rapide expose le site aux risques de destruction liées aux constructions nouvelles. Face à ces menaces des chercheurs tunisiens et français ont monté un projet de recherches afin d’enregistrer, d’étudier et de préserver les vestiges menacés de la ville antique.

Vue générale du site de la Ville antique de Thapsus. Au premier plan, l’amphithéâtre. © N. Lachaussée LIENSs – mission Thapsus 2022.

La date de la fondation de la ville, encore inconnue, fut probablement très ancienne. Le plus ancien matériel retrouvé sur le site date du VIe siècle av. J.-C. Après une période de domination punique, la cité s’est rangée aux côtés des Romains au cours de la troisième guerre punique (149 av. J.-C. – 146 av. J.-C), elle devint une cité libre de la province d’Africa. Elle fut le lieu de la victoire décisive de César sur ses adversaires. Pline la mentionne comme bénéficiant de l’immunitas et elle obtint par la suite le statut privilégié de colonie romaine. Marquée par la christianisation de l’empire, la ville abrita ensuite le siège d’un évêché. Après l’installation des Vandales, et malgré une très probable transformation importante de son urbanisme classique, l’occupation de la ville se poursuit jusqu’à la période byzantine. Quelques vestiges de l’époque islamique ont également été mis au jour sur le site. La ville semble toutefois avoir été abandonnée au Moyen Âge et le peuplement s’être déplacé à Bekalta.

Du XVIIIe siècle au XXe siècle, les vestiges encore visibles de la ville antique ont suscité d’abord l’intérêt de voyageurs érudits puis de quelques savants dont certains en ont laissé des descriptions très détaillées.

Prospections électriques en cours de réalisation © Mission Thapsus 2022.

Il s’agit de ceux de l’amphithéâtre, des citernes ou des grands thermes. Dans le dernier tiers du XXe siècle, des fouilles de sauvetages ont été conduites dans l’amphithéâtre et sur les nécropoles de la ville. Les travaux repris par l’Institut national du patrimoine (INP) se sont concentrés sur deux secteurs : un édifice monumental au cœur de l’espace urbain et les vestiges d’un petit fortin médiéval, peut-être lui-même installé sur les fondations d’un temple antique à proximité de la plage. Le site est aujourd’hui victime d’une érosion accélérée de la côté liées à la dérive littorale et de destructions massives en raison des travaux agricoles, du développement urbanistique et des constructions illégales.

Le projet mené par une équipe franco-tunisiennne a donné lieu à une analyse spatiale pour permettre la réflexion sur la nature de l’occupation urbaine à Thapsus. Il s’agit d’orienter le développement des programmes de recherches en déterminant des secteurs d’interventions archéologiques prioritaires et d’identifier les zones sensibles à protéger. Des prospections aériennes, réalisées essentiellement à l’aide d’un drone ont permis de réaliser une couverture photographique globale de la zone. Ces prospections ont également révélé l’existence de structures immergées de faibles profondeurs. Il pourrait s’agir de structures antiques encore méconnues complétant le système portuaire.

Les opérations de prospections géophysiques soutenues par le fonds Arpamed, occupent une place importante dans l’organisation des opérations de terrain.

D’une part, elles offrent une cartographie rapide permettant de compléter le plan d’urbanisme, tout en révélant les zones prioritaires à protéger. D’autre part, elles guident la stratégie d’ouverture des fouilles. Enfin, l’un des objectifs du programme de fouille était également celui d’un transfert technologique en assurant préalablement la formation en France pendant plusieurs mois d’un chercheur tunisien de l’INP aux techniques de prospections géophysique dans le laboratoire LIENSs et la mise en application de cette formation sur le terrain de Thapsus. Ces prospections ont été conduites le long des côtes afin de rechercher les structures littorales mais aussi dans l’intérieur des terres.

Premiers résultats bruts des prospections électromagnétiques réalisées à Thapsus entre 2019 et 2020. En rouge, secteur de faible conductivité et présence potentiel de monuments. © V. Mathé – mission Thapsus.

Bien que les données recueillies lors de ces prospections soient encore en cours d’analyse et qu’elles doivent être vérifiées par des sondages archéologiques, elles révèlent les prolongements terrestres des grands môles antiques de la ville, ainsi qu’une zone marquée par une forte salinité qui pourrait correspondre à un ancien secteur immergé et donc indiquerait un ancien trait de côte.

Dans l’intérieur des terres, ces prospections ont permis de révéler la présence d’un grand nombre d’édifices encore à identifier.

Plusieurs d’entre eux présentent un signal géophysique important suggérant leur caractère monumental. L’alignement des vestiges mis en évidence par ces prospections géophysiques pourrait indiquer que la ville possédait un plan d’urbanisme régulier. Lors de la campagne de mai 2022, une première opération de fouille a également été conduite sur le bord de mer dans le secteur traditionnellement appelé Portus Pristinus, où les prospections pédestres conduites avaient montré la présence d’un massif de moellons liés au mortier de facture antique livré à l’érosion marine. La fouille a révélé la présence d’un grand bâtiment quadrangulaire de près de 20 m de côté, dont les études en cours sur le niveau marin antique permettront de comprendre sa relation avec la mer et donc sa nature. Le matériel numismatique et céramique découvert dans ses fondations, encore à l’étude, permettra également de mieux connaitre sa chronologie qui pourrait se situer dans l’Antiquité tardive.

Structure monumentale littorale découverte en mai 2022 en cours de fouilles @ N. Lachaussée LIENSs .

Ces premiers travaux ont révélé la richesse de ce site et tout l’intérêt de poursuivre l’enregistrement des données dans un contexte d’urbanisation accélérée afin d’obtenir un outil de contrôle et de préservation du patrimoine. Les prochaines campagnes seront conduites sur les structures découvertes par les prospections géophysiques et particulièrement les édifices monumentaux et littoraux afin de mieux comprendre la nature de cette ville et les relations qu’elle entretenait avec la mer.

Pour en savoir plus :

Voir la page du projet : Port antique de Thapsus | Arpamed

Par Laurence Tranoy, maître de conférence en Histoire ancienne à La Rochelle Université.

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