Retour sur le colloque du 7 avril 2022 croisant les points de vue des juristes et des archéologues, organisé par le Centre Maurice Hauriou pour la recherche en droit public de l’Université Paris Cité (en collaboration avec l’EPHE et avec le parrainage de l’INRAP).
« Collaborer avec le temps sous son aspect de passé […], c’est retrouver sous les pierres le secret des sources. »
Comme l’énonce Marguerite Yourcenar dans les Mémoires d’Hadrien (1951), l’archéologie est une fabrique de l’Histoire. Par essence, l’archéologie appartient au domaine de l’intérêt général défini par le droit public. Parallèlement à la constitution de cette discipline et de sa méthode de fouille, s’est mise en place une réflexion sur les règles de protection des sites archéologiques. L’occasion de la rencontre entre juristes et archéologues le 7 avril 2022 sur la reconnaissance d’un droit spécifique, permet d’évoquer 3 sujets clefs :
- L’efficacité du dispositif législatif sur la propriété des biens archéologiques
- Les moyens de la lutte contre le pillage
- Les nouveaux défis de la recherche.
L’efficacité du dispositif législatif sur la propriété des biens archéologiques
Préparée depuis le début du XXème siècle avec la constitution d’un droit des monuments historiques, la loi du 27 septembre 1941 dite « Loi Carcopino », constitue le texte matriciel du droit de l’archéologie en France. Validée en 1945, elle rend obligatoire la déclaration des découvertes fortuites. Son article 2 prévoit une occupation du terrain par l’Etat contre une indemnisation allant jusqu’à 5 ans et 6 mois. L’usage de ce texte a permis d’élargir le champ d’étude de l’archéologie en s’intéressant aux sites menacés par les aménageurs. En échange de délais plus courts que ceux prescrits par la loi, les archéologues ont pu financer de gré à gré les premières fouilles préventives (d’une durée de 2 mois en moyenne).
Dans l’héritage du droit romain de la propriété du sol, ce « bien patrimonial » découvert lors des fouilles était partagé entre l’Etat et le propriétaire. Si l’on parle de « bien » plutôt que de « chose », c’est précisément parce que le bien est susceptible d’appropriation comme le prévoit loi du 7 juillet 2016. Désormais, la propriété du patrimoine archéologique appartient pleinement à l’Etat. Bien qu’il se dresse en spoliateur de toute propriété archéologique sortie du sol, l’Etat paradoxalement, apparaît comme le gardien naturel du patrimoine collectif.
Les moyens de la lutte contre le pillage
Cette protection du patrimoine archéologique par le domaine public vise à empêcher toute appropriation des vestiges du sol par les détectoristes amateurs. Il faut rappeler que seuls sont habilités aux fouilles, les professionnels de l’archéologie. Sauf autorisation particulière, l’usage des détecteurs est interdit à des fins archéologiques. Cette « infraction obstacle » permet d’éviter une infraction plus lourde, celle du pillage. Pour rappel, la destruction d’un bien archéologique est sanctionnée de 2 ans de prison et de 30 000 euros d’amende et jusqu’à 7 ans et 110 000 euros dans le cas d’un acte intentionnel ! Cette législation protectrice des biens, permet également de protéger l’intégrité physique des personnes. Fouiller n’est pas un acte anodin quand émerge ossements humains ou obus des conflits récents…
Si la protection du patrimoine incombe à l’Etat, elle repose également sur l’implication des personnes privées. La déclaration d’une découverte fortuite en Mairie permet de définir le potentiel d’un site et la mise en place d’une propriété publique. Dans la cadre de la prévention, il apparaît nécessaire de former les particuliers sur les enjeux d’une protection du patrimoine archéologique.
Les nouveaux défis de la recherche
Menace constante du patrimoine archéologique, le pillage est exacerbé en temps de guerre. En droit des conflits armés, seul le bien extrait des fouilles peut être protégé. La Convention de la Haye pour la protection des biens culturels (1954) encourage même la conservation du patrimoine dans son territoire d’origine. Faudrait-il étendre cette protection à une activité d’archéologie préventive pour assurer la sauvegarde d’un site menacé ?
Site classé à l’Unesco, Palmyre illustre la non-implication des règles internationales de protection dans un contexte de guerre civile. Une fois la zone pacifiée, il devient urgent de conserver la mémoire des sites classés et d’en préserver l’avenir à l’image du projet Saint Syméon (Syrie) soutenu par Arpamed. La protection archéologique n’est pas acquise partout et des « zones blanches patrimoniales et scientifiques » subsistent. C’est le cas de certains espaces maritimes éloignés des côtes, des zones rurales et forestières isolées ou des milieux miniers qui recèlent un potentiel d’exploration unique (voir à ce sujet, le projet Thorikos sur le site des mines du Laurion en Grèce). Si le patrimoine archéologique reste le plus souvent insoupçonné car enfoui, le recours à de nouvelles technologies permet une connaissance de son potentiel sur un territoire donné. L’utilisation du Lidar pour le projet Tricarico peut par exemple, donner les moyens d’une protection efficace. Comme le rappelle la Convention UNESCO pour la protection du patrimoine subaquatique (2001) : « le plus grand musée du monde se trouve en mer ». Une vision qui ouvre un champ des possibles pour la recherche comme pour la protection du patrimoine inconnu des fonds marins.
Pour en savoir plus :
A lire : Le patrimoine archéologique et son droit : questions juridiques, éthiques et culturelles sous la direction de Vincent Négri paru chez Bruylant en 2015 ; Le droit français de l’archéologie de Colette Saujot paru chez Cujas en 2007 dans sa seconde édition ; Le nouveau droit de l’archéologie préventive, coordonné par Pierre‑Laurent Frier, L’Harmattan, 2004.
Nous remercions Monsieur Thierry Rambaud, Professeur à l’Université Paris Cité, coordinateur scientifique du Colloque « Le droit de l’archéologie : entre reconnaissance et questionnements. Points de vue croisés des juristes et des archéologues », donné le jeudi 7 avril 2022 à la Faculté de droit de l’Université Paris Cité.
Une réflexion sur « Le droit de l’archéologie entre reconnaissance et questionnements »
Les commentaires sont fermés.