De nouvelles fouilles de la ville et de la nécropole du Bronze récent donnent à voir les rapports complexes entre différents pouvoirs politiques. L’enquête archéologique ouvre ainsi une fenêtre sur les conditions de vie et de mort dans l’antique Milet.
Milet, l’ornement de l’Ionie selon Hérodote et une des plus grandes villes du monde méditerranéen, est exploré depuis longtemps, mais les nécropoles en sont très mal connues. Ce n’est pas faute de les avoir cherchées : une soixantaine de tombes d’époque romaine et onze tombes mycéniennes ont été mises au jour en 1907-1908 sur le flanc oriental de la colline du Değirmentepe, située au sud du site. Ces données anciennes laissent bien des questions ouvertes, surtout en l’absence de publication. Si nous connaissons des tombes de ces deux périodes, c’est que ce sont des tombes à chambre, creusées et collectives, alors que les tombes individuelles d’autres époques, moins visibles dans le paysage actuel, ont été négligées. La nécropole en tant qu’espace organisé d’interaction entre vivants et avec les morts reste très mal connue. L’étude du matériel des fouilles de 1907-08 conservé à Berlin est en cours mais, sans documentation de fouille, et sans les ossements, elle ne pourra permettre de répondre à toutes les questions.
C’est dire que, pour comprendre la société de Milet dans la longue durée, il nous manque un pan entier de ses vestiges…
L’archéologie funéraire est un élément indispensable à l’étude de toute société ancienne, tant s’y révèlent les structures et les tensions. Au tableau des interactions entre traditions égéennes et anatoliennes, et surtout à celui de la formation et du développement d’une société urbaine, fondés sur les données de l’habitat, il faut maintenant pouvoir ajouter une analyse fine des usages funéraires et des espaces qui leur sont dédiés dans le cadre de la ville de Milet, depuis le Bronze récent.
Ce projet vise à étudier le matériel issu des fouilles de sauvetage menées dans la nécropole depuis 2012, et à mener une fouille programmée pour comprendre une face nouvelle de la ville de Milet. Cette entreprise de recueil de données biologiques est par nature diachronique pour comprendre, sur presque deux millénaires, la diète et à l’état de santé de la population de Milet.
En 2019, grâce au soutien d’Arpamed, une première campagne a été menée.
Une prospection magnétique a été effectuée en plusieurs endroits de la colline, pour localiser les tombes et un éventuel habitat qui a pu occuper une partie de la colline. Une tombe à chambre construite d’époque impériale a été dégagée et dans une autre zone, au nord-ouest, une tombe d’époque hellénistique ancienne, contenant au moins trois individus, a été fouillée et de probables autres tombes ont été localisées. Cela rend plus complexe encore l’organisation d’ensemble de la nécropole.
Des études anthropologiques ont été menées sur les tombes des fouilles de sauvetage effectuées par le musée de Milet en 2012-2013. La tombe hellénistique a fait l’objet d’une fouille fine, qui a mis en évidence la complexité des manipulations dont les trois corps ont été l’objet : la présence de petits os montre que l’un au moins a été enterré ici même (sinon ces os se seraient perdus dans le transport), mais la position des différents éléments des squelettes montre aussi que ceux-ci ont été organisés lors de réouvertures de la tombe : les crânes sont ensemble dans un coin, certains os longs ont été empilés un peu plus loin. L’espace entre les tombes livre peu de céramique, mais à environ un mètre se trouvait, sur le sol dans lequel la tombe a été creusée, une petite cruche à embouchure en trèfle, qui a pu être utilisée dans des rituels funéraires. C’est ainsi qu’une nécropole, si l’on ose dire, vivante, se révèle lentement.
Projet porté par Julien Zurbach en partenariat avec l’Ecole Normale Supérieure.